La démarche modulaire des Simonnet

La démarche modulaire des Simonnet

Le monde industriel parle parfois de modules, c’est à dire de la multiplication d’une même réalité plus ou moins élémentaire qui va se retrouver de nombreuses fois dans un ensemble. Son objectif jusqu’à ce jour n’a jamais été dans l’ordre de la forme et en encore moins de sa variété. L’industrie ne traite que le couple économie et technique de production. Dans le secteur de la création, le monde du désign raisonne la forme car il est confronté à des fonctionnalités mais surtout à une économie de production. Rarement la forme est pensée en vue d’être combinée à elle-même afin de proposer autre chose visuellement que la forme initiale produite.

Cette démarche modulaire ne se rencontre pas d’avantage dans les arts plastiques. Pourtant à l’heure de l’outil informatique on peut s’interroger sur cette impasse. Sans doute la formation artistique dispensée aux peintres et sculpteurs dans nos écoles d’art est-elle assez étrangère à une réflexion de type scientifique, ou plus modestement rationnelle, logique comme le Bauhaus a pu le faire. Le monde de l’art d’aujourd’hui, malgré le rejet du romantisme et d’une certaine subjectivité, se méfie toujours du rationalisme. Pour beaucoup l’art et la création relèvent du mystère et trop de rationalité tuerait l’art. Le monde de l’art a quelque complaisance pour l’irrationnel c’est pourquoi il parle si souvent d’art avec lyrisme ce qui ne le rend pas plus communicable mais ce qui permet à tout un chacun d’en parler doctement. L’artiste trop souvent flatté par un discours qui lui échappe, s’en fait le complice. Si l’on ajoute à cette attitude de pensée, le rejet des formalismes figés affichés pendant des décennies par les écoles d’art et défendus par les institutions, on comprendra que l’interrogation artistique de notre époque ne se soit pas focalisée sur la recherche formelle en tant que telle.

Au lieu d’interroger la forme pour elle-même, certains s’en servent pour traduire des concepts, pour illustrer ou traduire un langage, une pensée pré-établie de type littéraire. Il y a du rébus dans cet art. Nous constatons un envahissement du littéraire dans les arts plastiques qui sont d’une autre nature. On se sert des mots pour expliquer, voire justifier telle forme visuelle. Certains croient d’avantage aux mots qu’aux formes et couleurs et tout un pan de la création est assujetti au discours. L’œuvre plastique devient illustration d’un propos. Elle lui est soumise alors qu’en réalité elle est beaucoup plus riche et complexe. Le sens de l’œuvre plastique n’est pas dialectique. Elle ne prouve rien. Elle se contente d’être. Elle ne peut être réduite au discours. Les mots sont bien pauvres pour la révéler ou la circonscrire, même si ceux-ci peuvent bien sur nous aider à l’aborder, à la situer dans son champ spécifique, à la nommer.

Si au départ l’idée de module peut être le fruit d’une analyse d’un ensemble pour lui trouver des éléments identiques de dimensions réduites en vue d’une simplification de sa production, la démarche modulaire qui est la nôtre dépasse largement cet objectif. Nous cherchons par des moyens rationnels à créer, inventer des formes, ouvrir des champs d’investigation formelle qui sortent d’un subjectivisme limité, d’une intuition passagère, voire d’une rêverie constructive. A partir d’un seul module produit en plusieurs exemplaires, combinable à lui-même ou de quelques modules différents présentant des possibilités communes d’assemblage, le jeu des combinaisons multiples va permettre l’investigation de champs formels. Créer des formes qui ne sont pas perceptibles dans les modules de base. Avec ces modules ainsi conçus, tout un chacun va pouvoir s’approprier le jeu modulaire pour créer une infinité de formes dont la plupart n’aura pas été entrevue par l’auteur lui-même de ces modules. Cela suppose bien sur que soit respectées par son utilisateur les règles d’assemblages attribuées à la série modulaire empruntée. C’est l’œuvre ouverte par excellence. On est loin de cette participation symbolique du public des années 70 qui consistait à déplacer quelques formes découpées sur un support pour modifier le tableau. L’intention était là mais les moyens et les résultats restaient dérisoires. Avec la démarche modulaire, l’unicité de la forme fait place à des champs formels renouvelables à l’infini.

La rationalité du jeu modulaire va permettre de dépasser l’imaginaire de l’artiste. La combinatoire illimitée qu’il présente et met à la disposition d’autrui, ouvre le champ de la création par des moyens rationnels et objectivés. La richesse de la série modulaire, sa capacité à produire des formes variées va dépendre des modules de base. Une série établie pourra s’enrichir par l’apport de nouveaux modules. Il paraît logique qu’ils aient des liens de parenté formelle, une même logique d’assemblage, une continuité formelle… Une légère différence avec les modules de base pourra déboucher sur des champs formels entièrement différents. C’est ainsi que nous sommes passés des polymorphes toriques à sections circulaires constantes aux polycloques dont les sections circulaires étaient variées. Les formes qui en découlent sont totalement différentes d’esprit.

L’appropriation d’une série modulaire relève du jeu et du plaisir. Jeu de la manipulation des modules, perception des possibles par l’intelligence, le visuel et la main. Plaisir de la découverte de nouvelles formes. L’objet produit n’est pas la traduction d’une idée pré-établie, d’un projet formel arrêté, mais la découverte de nouvelles formes, programmées certes par une logique modulaire mais que seul celui qui manipule et assemble les modules peut révéler. Il s’agit bien là d’un réel et authentique partage de la création qui va bien au-delà du symbole. Si longtemps présentée comme individuelle pour des raisons plus mercantiles que créatives, la création devient objectivée, raisonnée ludique et potentiellement collective.

Jean Marie Simonnet, octobre 2010